Du plus doux des transports de ton souffle à l'élan de tes lèvres goûtées, tout m'incline à parler ta langue.
hervé pizon
"carnets
de notes"
Du plus doux des transports de ton souffle à l'élan de tes lèvres goûtées, tout m'incline à parler ta langue.
A mes lèvres apaisées
viens troubler l'eau
de mon cours
et nager
dans la pluie
de ma bouche.
La pierre gratte et le lait gomme le parchemin déjà utilisé.
Du premier écrit, quelques traces demeurent.
Et sur elles, un autre à écrire.
J'écris de mes mains sur toi.
L'amour est un palimpseste.
Maury, j'emprunte à Julien Sorel les couleurs sans le deuil. Minuscule et étroite bande de terre coincée entre contreforts pyrenéens et Corbières ; ici, las de la tradition, une poignée de vignerons a donné un coup de pied dans la fourmilière et de vin doux naturel, leur Maury ressemblera à un vin naturellement doux. Amour, sur le fruit. Sans attendre, je vois un peu de toi, marnes sur argile rouge, schiste noir, je bois de toi, grenache noir, ce baiser de ta bouche gourmande m'enivre de tes arômes de cerise en confiture, légèrement poivrée.
Les moines y sont arrivés dès le XI° siècle, c'est juste à côté de Pézenas -on dit là-bas que
Jean-Baptiste Poquelin est né à Paris, Molière à Pézenas- c'est à Bébian. Le toit menace de s'écrouler, on ne peut plus visiter le Prieuré Saint-Jean, passant outre, j'y fais quelques pas pour
entendre l'acoustique du lieu ; je n'ai de toi tangible que ta voix rieuse sur ma messagerie.
Des vignes de sélection massale, un terroir exceptionnel, un soin extrême dans la vinification, un vin rouge sublime, aux
reflets roux, que je découvre, en dégustation dans la cave, une persistance en bouche infinie, de la puissance et de la fraîcheur. J'ai envie de crier dans le Prieuré... fruits noirs compotés,
fruits rouges confiturés, tabac, cacao, baies, épices, olives, fenouil, garrigue, violette ; j'ai chuchoté tu me manques.
- Mais de quels mots use-t-on pour parler d'un vin... sublime
?
- On ne dit plus rien. *
Je la regarde. Elle; en silence.
* extrait d'un entretien avec Martine Coutier, linguiste jurassienne, qui a publié le Dictionnaire de la langue du vin (CNRS, 2007), article paru dans Libération le
22/09/07.
Je porte le titre sur le livre d'elle et parle bas par euphémisme.
I. Appris de la bouche de ma mère. Il y a peu. Le pourquoi de l’arrivée à Besançon, le départ de la Meuse
natale. Une histoire de fuite. Je savais. J’ai longtemps cru que c’était l’exode. C’était bien à cette époque, grand-mère s’était remariée quelque temps après le décès de grand-père, tué par des
soldats allemands. Remariée, sous la contrainte, et le second mari n’était pas du genre aimant, très violent. Grand-mère, elle a fui l’ennemi, pas l’occupant, son mari. Un jour, elle s’est levée
très tôt, sans faire de bruit, elle a réveillé ma mère, l’aînée, douze ans, puis les trois autres enfants; elle leur a juste dit de s’habiller en silence, ma mère a aidé les petits. Ils sont
partis à pied très vite, sans affaires, avec un peu d’argent. A la gare la plus proche, ils ont sauté dans le premier train, puis de correspondance en correspondance, ils se sont arrêtés dans une
ville sans attache. Besançon, où je suis né.
II. Deux lettres. La première adressée à une mère, la seconde à une fiancée. J’ai tenu les morceaux de ces lettres déchirées, je les ai
reconstitués, j’ai lu les lettres écrites à la plume. En allemand. Dans les deux cas, l’amour évidemment, l’absence, le manque, la nostalgie du pays, l’assurance des ne t’inquiète pas tout va
bien. Deux lettres trouvées par moi il y a onze ans dans la trappe de la cheminée monumentale de la cuisine. Jamais parvenues à leur destinataire aimé, retenues probablement par la hiérarchie, ma
maison était le siège de la Kommandantur. Deux lettres de soldats allemands. Je suis le dernier à les avoir lues. Les lettres se sont ensuite très vite désagrégées. Il n’en reste plus
rien.