I. Appris de la bouche de ma mère. Il y a peu. Le pourquoi de l’arrivée à Besançon, le départ de la Meuse
natale. Une histoire de fuite. Je savais. J’ai longtemps cru que c’était l’exode. C’était bien à cette époque, grand-mère s’était remariée quelque temps après le décès de grand-père, tué par des
soldats allemands. Remariée, sous la contrainte, et le second mari n’était pas du genre aimant, très violent. Grand-mère, elle a fui l’ennemi, pas l’occupant, son mari. Un jour, elle s’est levée
très tôt, sans faire de bruit, elle a réveillé ma mère, l’aînée, douze ans, puis les trois autres enfants; elle leur a juste dit de s’habiller en silence, ma mère a aidé les petits. Ils sont
partis à pied très vite, sans affaires, avec un peu d’argent. A la gare la plus proche, ils ont sauté dans le premier train, puis de correspondance en correspondance, ils se sont arrêtés dans une
ville sans attache. Besançon, où je suis né.
II. Deux lettres. La première adressée à une mère, la seconde à une fiancée. J’ai tenu les morceaux de ces lettres déchirées, je les ai
reconstitués, j’ai lu les lettres écrites à la plume. En allemand. Dans les deux cas, l’amour évidemment, l’absence, le manque, la nostalgie du pays, l’assurance des ne t’inquiète pas tout va
bien. Deux lettres trouvées par moi il y a onze ans dans la trappe de la cheminée monumentale de la cuisine. Jamais parvenues à leur destinataire aimé, retenues probablement par la hiérarchie, ma
maison était le siège de la Kommandantur. Deux lettres de soldats allemands. Je suis le dernier à les avoir lues. Les lettres se sont ensuite très vite désagrégées. Il n’en reste plus
rien.